Le principe de précaution oscille entre prudence et blocage

By on 30/05/2017

Le principe de précaution a souvent été décrié depuis son inscription dans la Constitution en 2005. Une mauvaise interprétation de ce principe aboutit parfois à des situations paradoxales, voire ubuesques. Comme lorsque certains lobbies s’appuient sur ce principe pour défendre… leurs propres intérêts.

L’objectif de ce principe est simple : « obliger les pouvoirs publics à sortir de l’attitude attentiste qu’ils avaient adoptée face à certains risques touchant à l’environnement et à la santé, tout en protégeant la recherche et l’activité économique des interprétations abusives de ce principe ». D’un côté, insister sur la « proportionnalité » et le caractère provisoire des mesures de précaution, et de l’autre, ne pas sur-valoriser le doute ni bloquer l’innovation et le progrès scientifique.

La Charte de l’Environnement, inclue dans la révision constitutionnelle de mars 2005, fournit le cadre légal du principe de précaution par la mise en place de procédures d’évaluation des risques et de mesures de protection provisoires et proportionnées. Cela afin d’éviter « les dommages graves et irréversibles à l’environnement » en cas d’incertitude scientifique.

Dans un article publié en 2007 sur le site de Valeurs Actuelles, l’ancienne ministre de l’Environnement et soutien d’Emmanuel Macron en 2017, Corinne Lepage, voyait déjà dans ce principe « une opportunité de s’inscrire, avec les avantages compétitifs qui y sont liés, dans une véritable politique de développement soutenable. » Et de poursuivre : « Non content de réduire les coûts collectifs, il stimule la recherche et le développement de nouveaux produits et services. »

Un principe paradoxal

Pourtant, certains commentateurs constatent des effets contraires à ceux initialement recherchés, conduisant parfois à des situation paradoxales. En cause, la définition même du principe de précaution, qui rend difficile d’adopter des mesures proportionnées face à des risques incertains.

Le quotidien fournit son lot de situations ubuesques générées par le principe de précaution. Les riverains de la rue Léon Blum à Roubaix ont par exemple eu la surprise d’assister au tronçonnage d’arbres en face de chez eux en avril dernier, sur la base de la seule hypothèse que leur chute constituerait un danger pour les habitations ! Cet acte a provoqué l’ire des habitants restés dans l’incompréhension de la décision prise.

Au cours de la campagne présidentielle, certains candidats ont proposé de revoir le principe de précaution. François Fillon l’a par exemple qualifié de principe « dévoyé et arbitraire », de « prétexte à l’inaction » tout en le considérant comme un frein à l’innovation des entreprises. Reprenant l’idée avancée en 2014 par Nicolas Sarkozy critiquant l’abandon de l’exploitation du gaz de schiste, il a préconisé « le principe de responsabilité ». Pour sa part, Emmanuel Macron a tenu un discours plus édulcoré : « Il faut sortir de cette idée comme quoi cela empêche l’innovation ».

Abrogation ou élargissement du principe ?

Faut-il alors maintenir ou abroger le principe de précaution ? La question reste encore loin d’être réglée, d’autant que certains acteurs souhaitent l’élargir, notamment en matière d’utilisation de certains herbicides. Sur cette question, les paradoxes ne manquent pas : certains États interdisent par exemple le glyphosate, alors que des organismes internationaux, tels que l’OMS, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), l’Agence pour la Protection de l’Environnement (l’EPA), ont tous conclu à son aspect non cancérogène.

Le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC) estime, quant à lui, que le glyphosate est cancérogène pour l’homme. C’est d’ailleurs ce désaccord qui encourage des ONG telles que Foodwatch, la Ligue contre le cancer et Générations futures à élargir le principe de précaution, appelant les autorités européennes à bannir l’utilisation du glyphosate. Quand bien même le CIRC est l’un des seuls aujourd’hui à classer cet herbicide parmi les produits cancérogènes. Doit-on rappeler que c’est ce même centre qui a inscrit pendant 25 ans le café sur sa liste des produits « peut-être cancérogènes » ? En octobre 2015, le CIRC récidiva, en plaçant cette fois-ci sur sa liste des produits « probablement cancérogènes » la viande rouge. Et peu importe que la méthodologie du CIRC prête à confusion ; par exemple, la classification n’indique pas quel niveau de risque existe pour la santé. Situation d’autant plus absurde selon Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, si l’on ne prend pas en compte la quantité consommée : « un excès peut être délétère, mais une consommation raisonnable être bénéfique pour la santé. »

Mais au lieu de se remettre en question, le CIRC a décidé de contre attaquer lorsque de nouvelles études, comme celle de l’EFSA en avril dernier, ont conclu à la non carcinogénicité du glyphosate. Le professeur Christopher Portier, chercheur au CIRC, a envoyé une lettre au commissaire européen pour la santé et la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, dans laquelle il remettait en cause, ni plus ni moins… les conclusions de l’évaluation menée par l’EFSA. Mais si le professeur Portier tient tant au principe de précaution autour du glyphosate, peut-être est-ce parce qu’il est lui même… salarié de l’Environmental Defense Fund, une association anti-pesticides américaine qui milite pour le retrait du glyphosate.

Alors que la commission européenne vient de relancer, ce mardi 16 mai, la procédure d’autorisation à long terme du glyphosate, des eurodéputés socialistes sont montés au créneau, exigeant une « stricte application du principe de précaution » : « Nous demandons à ce que la décision concernant le renouvellement de l’approbation du glyphosate soit fondée sur des résultats scientifiques crédibles et indépendants et que les exigences en ce qui concerne la divulgation des preuves scientifiques utilisées dans le processus d’évaluation soient respectées conformément à la jurisprudence de la CJUE. » L’Efsa s’est défendue contre ces accusations, en expliquant que son étude est une « évaluation exhaustive du risque » cancérogène, tandis que celle du CIRC, dévoilée en 2015, n’est qu’une « première évaluation ».

Outre le débat idéologique, comme nous le voyons, autour de l’application du principe de précaution, certaines parties prenantes n’hésitent pas à jouer sur les peurs collectives pour arriver à leurs fins. C’est ce qui ressortait en 2016 d’un rapport de l’Académie des technologies. Fruit d’une collaboration entre un physicien et un sociologue, le document a notamment étudié la fulgurante progression de la proportion des Français défavorable à la vaccination, passée de 8,5% en 2000 à 40% en 2010. Les deux auteurs expliquent ce phénomène notamment par des campagnes finement orchestrées sur Youtube et des forums médicaux par des activistes contre l’utilisation des vaccins, abusant du principe de précaution.

Dévoyé, le principe de précaution répond de moins en moins à ses objectifs de départ. Pour Nicolas Treich, directeur de recherche à l’INRA, le véritable enjeu du principe de précaution se trouve ailleurs : se doter d’outils d’évaluation efficaces, en rendant « plus transparentes les décisions publiques », afin de « contraindre nos décideurs à mieux justifier leurs choix ».

 

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