Alexandre Azoulay : « Une régulation raisonnable des stablecoins peut rassurer les investisseurs »
Lancée en 2014, la première crypto-monnaie « stable » a depuis fait des émules, jusqu’à la Banque centrale européenne (BCE). Bien que moins rémunérateurs, ces actifs numériques attirent plus qu’ils n’inquiètent, du fait de leurs connexions avec l’économie réelle. Mais attention, « certains stablecoins décentralisés et algorithmiques présentent des risques évidents» prévient Alexandre Azoulay, fondateur et CEO de SGH Capital, alors même que le stablecoin TerraUSD a chuté massivement mardi 10 mai.
2022 sera-t-elle l’année de la régulation pour les stablecoins ? C’est en tout cas la ferme volonté affichée par les organisations internationales, le Fonds monétaire international (FMI) et le Conseil de la stabilité financière (CSF) en tête, ce-dernier allant jusqu’à préconiser l’application d’une série de recommandations pour « éviter les risques de faillite générale ». Même son de cloche du côté des États-Unis, où la FED et le Président Biden appellent depuis l’an dernier à mieux contrôler ce qu’ils considèrent comme un « far-west financier ». À raison ? « Il est nécessaire de garantir la protection des investisseurs, en vérifiant notamment la réserve financière des acteurs du marché » avance Alexandre Azoulay.
Rassurer pour attirer
Pour rappel, le stablecoin est une crypto-monnaie dont la valeur est, comme son nom l’indique, stable. C’est-à-dire que cette dernière est garantie en équivalent d’un autre actif, qui peut être une monnaie fiduciaire, généralement le dollar, une autre crypto-monnaie (Bitcoin, Ethereum) ou bien un autre actif du monde réel (métaux rares, pétrole…). Comme toutes les autres monnaies numériques, les cryptomonnaies stables reposent sur un recours aux technologies blockchain. « D’un point de vue pratique, les stablecoins sont des actifs numériques comme les autres. Les adosser à une valeur refuge classique revient, en théorie, à les protéger de trop grandes fluctuations » affirme Alexandre Azoulay.
Pour assurer cette stabilité, on énonce que pour chaque unité de stablecoin émise sur un marché, l’émetteur dispose d’un dollar ou une unité de monnaie dans un compte en banque. C’est la promesse faite par Circle ou encore Tether, la stablecoin la plus connue du marché, dont la valeur est adossée au dollar américain via des réserves supposées de cash et d’actifs liquides.
Dans le cas des stablecoins adossés à une autre crypto-monnaie, volatile par nature, l’émetteur doit disposer d’une quantité plus importante de cette dernière. Une entreprise souhaitant par exemple émettre l’équivalent de 500 dollars de stablecoins devra en parallèle détenir 1000 dollars de Bitcoins. On parle alors de stablecoin « sur-adossé », comme le stablecoin français Angle. Ce type de stablecoin est risqué car il suppose une stabilité des crypto monnaies placées en collatéral. Or, les derniers mois ont montré la persistance d’une volatilité importante de ce qui serait alors un collatéral fragile.
Il existe enfin des stablecoins dites « algorithmiques », dont la valeur est garantie par des smart contracts, c’est-à-dire des programmes informatiques irrévocables. Pour celles-ci, le cours est stabilisé par destruction ou création de tokens en fonction de son évolution négative ou positive. Ce-dernier type de stablecoin – dont fait partie l’US Terra (UST) – apparaît comme le plus risqué car il ne repose, à proprement parler, pas sur la réserve réelle de l’actif.
En résumé, les crypto-monnaies stables sont nées pour pallier les défauts des crypto-monnaies dites traditionnelles, dont la forte volatilité réfrène les velléités de nombreux investisseurs. À titre d’exemple, le cours du Bitcoin a varié entre 63 000 et 30 000 dollars entre mars et juillet 2021. Dans le même intervalle de temps, le stablecoin le plus connu, le Tether (USDT), oscillait entre 0,83 et 0,84 dollar ; en mai 2022, il est stabilisé à 0,94 dollar.
Un marché en pleine croissance
Par leur caractère sécurisant, les stablecoins incitent d’ailleurs la Banque centrale européenne (BCE) à plancher sur la création d’un euro numérique. Bien qu’en phase d’expérimentation, le projet de la BCE, dont le média Politico affirmait en février dernier détenir une ébauche de business plan, serait sérieux et viserait à renforcer la souveraineté technologique européenne. Le député européen Pierre Person (LREM), un des fers-de-lance de l’encadrement législatif des cryptomonnaies, aspire à la création d’un stablecoin européen. D’autres acteurs, bien connus de la Tech française, comme l’influenceur Owen Simonin ou encore Alexandre Azoulay, ont été mentionnés dans la création d’un projet de stablecoin Euro centralisé et régulé, dont le collatéral serait garanti par des encours en Euros à parité. Nourrie des mêmes ambitions, la start-up Angle Labs s’est lancé à la fin de l’année dernière dans la création de stable coins fondées sur d’autres monnaies que le dollar, dont l’euro. Angle Labs est construite sur un modèle similaire à l’US Terra (UST) dont la faillite récente ne présage rien de bien pour les stablecoins algorithmiques et pour ceux dont le collatéral est un panier de cryptomonnaies aujourd’hui très volatiles. « Une bonne régulation, notamment au niveau européen est évidemment nécessaire », souligne Alexandre Azoulay, « mais les dernières propositions législatives européennes limiteraient le volume en circulation d’un stablecoin même centralisé et régulé à 200 millions d’Euros, – ce qui est insignifiant au regard des volumes actuels dans la crypto et les paiements- et vont soumettre tout stablecoin Euro à un véto discrétionnaire de la BCE ».
L’intérêt de la BCE et de certaines start-up pour ces crypto-monnaies « nouvelle génération » ne suffit pas à expliquer la croissance impressionnante du marché ces deux dernières années. À l’issue de l’exercice 2021, le marché des stablecoins totalisait en effet plus de 117 milliards de dollars, contre 5,6 milliards au début de l’année 2020. En plus des initiés aux crypto-monnaies, ce sont également « des fonds de placement traditionnels, des sociétés ou encore des banques » qui s’intéressent aux stable coins, souligne Nathalie Janson, spécialiste des crypto-monnaies à l’école de management Neoma Business School. Pour l’expert financier du cabinet de conseil IG, Vincent Boy, les stable coins tendent à s’imposer comme de véritables « ponts entre les monnaies fiduciaires et les cryptomonnaies ».
Des risques à prendre en considération
Bien sûr, investir dans un stablecoin n’est pas anodin. Comme pour toute autre crypto-monnaie, l’acte est accompagné de son lot d’incertitudes et de risques. « Au regard des difficultés de l’UST, seuls les stablecoins centralisés et régulés, collatéralisés par des actifs liquides à risque faible seraient inattaquables », prévient Alexandre Azoulay.
Il apparaît, d’abord, que le risque de faillite générale des marchés financiers induit par l’interconnexion entre les stablecoins et les devises réelles est, à ce stade, minime. D’après le spécialiste Vincent Boy, les banques centrales sont encore largement capables d’assumer, en termes de réserves, le poids financier des crypto-monnaies stables.
En définitive, le principal reproche fait aux stablecoins concerne le manque de transparence de leurs émetteurs en matière de garanties financières. Au demeurant, ce grief a seulement été fait à la société Tether Limited, cette dernière s’étant montrée réfractaire, en septembre 2020, à fournir des preuves quant aux réserves de dollars dont elle disposait pour couvrir les quelque 14,4 milliards d’USDT mis en circulation. Il est par ailleurs fort probable que des progrès soient faits en la matière, grâce aux recommandations du CSF qui devront être mises en place par les pays au niveau national d’ici juillet 2022. Si celles-ci sont suivies et mises en place d’ici l’été, le marché des stable coins séduira peut-être rapidement, qui sait, certains de ses actuels détracteurs.