Panne en Espagne : faut-il repenser nos systèmes électriques ?

La panne électrique géante du lundi 28 avril a plongé dans le chaos la péninsule ibérique, principalement l’Espagne et le Portugal. Transports ferroviaires, feux tricolores, centres commerciaux…pratiquement tout était à l’arrêt. Pour certains chercheurs et ingénieurs, cet blackout doit ouvrir une réflexion collective sur l’interconnexion des réseaux et sur notre rapport à l’électricité.
Le lundi 28 avril, peu avant midi, une panne géante d’électricité a touché la péninsule ibérique, tout le Portugal et l’Espagne et une partie du Pays Basque français (sud-ouest de la France). En seulement 5 secondes, quinze gigawatts (GW), l’équivalent de 60 % de la demande en électricité de l’Espagne, s’est évaporé.
Une giga panne avec des conséquences non négligeables
À Madrid, Barcelone et Séville notamment les métros et trains étaient à l’arrêt, Internet coupé et la téléphonie inaccessible. Mais la situation s’est rétablie peu à peu dès lundi soir pour arriver à un retour à la normale mardi dans l’après-midi. Toutefois, cet épisode chaotique n’a pas été sans conséquences. Selon le ministre des Transports espagnol, le trafic aérien a baissé de 30% avec 344 vols annulés. Renfe, le gestionnaire du réseau ferroviaire national, a indiqué de son côté que près de 50 000 passagers ont été affectés par l’arrêt du service électrique. Parmi eux, 26 000 personnes ont pu être reclassés dans d’autres trains. Les autres ont bénéficié d’un remboursement ou d’un échange de billet.
Des pertes s’élevant à des centaines de millions d’euros
D’après Renfe, le préjudice pour la compagnie nationale s’élèverait à plusieurs centaines de millions d’euros. Pour sa part, le ministre de l’Économie, Carlos Cuerpo, a calculé que la panne a provoqué une baisse de 55 % des paiements électroniques autorisés, soit une perte estimée à 400 millions d’euros. Alors que le gouvernement continue d’évaluer les pertes, le premier ministre Pedro Sanchez annonce une commission d’enquête pour connaître les causes de la panne et situer les responsabilités.
Une enquête ouverte pour sabotage informatique
« Aucune hypothèse ne sera écartée tant que nous ne disposerons pas de ces résultats d’analyse », a indiqué le chef du gouvernement espagnol. Un juge de l’Audience nationale, la juridiction madrilène en charge des affaires les plus graves, a indiqué qu’une enquête a été ouverte sur un éventuel « sabotage informatique ». Pourtant, le gestionnaire du réseau électrique espagnol (REE) a écarté la piste de la cyberattaque à ce stade. L’Union européenne, elle, dit suivre de près la situation pour en tirer toutes les leçons.
La giga panne soulève des questions sur le modèle de nos réseaux électriques et sur notre rapport à l’électricité
Au-delà des causes, l’ampleur de la panne soulève des questions sur le modèle de nos réseaux électriques et sur notre rapport à l’électricité. D’abord le modèle de réseaux. Aujourd’hui, nous avons de grands réseaux permettant de mutualiser les moyens de production et de réduire les temps de coupure locale. Ils sont gérés par une seule compagnie nationale, EDF en France et REE en Espagne. La mutualisation des moyens de production constitue la force de ce système, mais elle peut aussi représenter un talon d’Achille.
Privilégier de micro-réseaux partiellement interconnectés pour éviter une giga panne
En effet, plus le réseau s’étend et plus il devient complexe et vulnérable à des événements conjoncturels pouvant conduire à un effondrement en cascade de tout le système. Si le modèle centralisé est extrêmement vulnérable, l’ancien système promu dans les années 1930 – la gestion locale en petits réseaux séparés – peut paraître aujourd’hui dépassée également avec la configuration de nos sociétés actuelles. Les experts et ingénieurs suggèrent ainsi de privilégier de micro-réseaux partiellement interconnectés.
Nous devons apprendre à nous passer d’une fourniture d’électricité en continu
Selon eux, ces infrastructures pourraient être des outils de résilience en cas de catastrophe. Mais la solution ne viendra pas que d’un changement de modèle de réseau. Elle doit également venir d’un service public de l’électricité plus sobre, territorialisé, qui reposerait sur une diversité infrastructurelle, avec une plus grande place accordée aux énergies intermittentes. Il faudrait aussi prévoir des services alternatifs et apprendre à se passer d’une fourniture d’électricité en continu. Les chercheurs appellent à la construction d’une société où les coupures d’électricité n’aboutiraient pas à une précarisation de la population, mais seraient compréhensibles et acceptables.