René Ricol, l’homme aux trois vies

By on 14/09/2018

René Ricol est une des figures tutélaires du monde parisien des affaires. A l’instar d’un Claude Bébéar ou d’un Raymond Soubie, il fait partie de ces « parrains » du capitalisme français, aux avis écoutés, aux conseils respectés et que le microcosme consulte sur tous les dossiers stratégiques. A la fois chef d’entreprise, responsable socioprofessionnel et homme de mission pour le gouvernement français, il semble avoir vécu plusieurs vies en une.

Après des études de comptabilité et de sciences économiques, ce lyonnais de cœur rejoint Paris en 1976, diplômé et déjà père de deux enfants (il en a six aujourd’hui). Il entame des activités d’audit et de commissariat aux comptes, et fait la rencontre de Napoléon Susini, qui jouera un rôle important dans les institutions de la profession comptable, et initiera Ricol à ce qui deviendra la clef de voûte de son parcours : le « socioprofessionnel ».

En 1978, il crée en tant qu’associé le cabinet DGR et en rachetant une petite clientèle pour la bagatelle de 30 000 francs, où il va recruter son futur partenaire, Gilles de Courcel. Ensemble, ils quittent DGR en 1981, pour rejoindre le cabinet Calan-Ramolino, qui devient Calan-Ramolino-Ricol. Là, il se lie d’amitié avec Jean-Charles de Lasteyrie qui se trouve également être le cousin de Gilles de Courcel.

La création de « Ricol et Lasteyrie »

Ricol, Lasteyrie, Courcel : le trio ne se séparera plus. Ensemble, ils fondent en 1986 le cabinet Ricol et Lasteyrie, … Le succès est immédiat, illustré notamment par une péripétie édifiante survenue quelques années auparavant, et dans laquelle se trouve en germe toute la philosophie du patron.

Appelé à certifier les comptes d’une agence bancaire, René Ricol (alors à ses débuts) refuse de « tamponner » les documents qui lui sont présentés, au risque de froisser (et perdre) un client. Il a remarqué des anomalies qu’il souhaite étudier : à raison, puisqu’il s’avère qu’un comptable et son responsable hiérarchique « tapent » dans la caisse, et sont rapidement remerciés. Au passage, Ricol décèle une erreur dans les déclarations fiscales, ce qui fait économiser à l’agence quelques millions de francs. L’information remonte jusqu’au patron du réseau, impressionné par tant d’exigence, qui confie à René Ricol l’ensemble de ses agences et filiales.

L’anecdote est révélatrice : depuis longtemps René Ricol est convaincu que la profession doit se moderniser et modifier ses relations avec ses clients. Il considère très vite que les activités de certification des comptes et de conseil ne font « pas bon ménage » : un credo qu’il ne cessera de mettre en œuvre dans ses activités institutionnelles, et qu’il met en pratique dès 1989 dans son propre cabinet, en mettant un terme aux activités de commissariat aux comptes, pour pouvoir se consacrer au conseil sous toutes ses formes.

De la certification des comptes au conseil

C’est l’ensemble du CAC 40 qui se tourne alors, au tournant des années 90, vers Ricol et Lateyrie. Il s’appuie pour cela sur des expertises qu’il a su agréger avec un recrutement haut de gamme, facilité par la « doctrine sociale » d’un patron marqué par le catholicisme social. Il se défend pourtant d’être généreux et assure lorsqu’on l’interroge que si Ricol et Lasteyrie a la réputation de payer mieux que le marché, a mis en place l’intéressement, reverse 25 % des résultats à ses salariés et assure la même couverture sociale à la standardiste qu’aux patrons, il faut y voir plutôt « du bon sens », « un intérêt bien compris » et une « logique imposée par la concurrence avec les grands réseaux ».

De fait, le cabinet a su faire émerger certaines « stars » du secteur ces dernières années, de Jean-François Sablier en matière de régulation banques/assurances, à Sonia Bonnet-Bernard en matière de normes comptables. Ce qui permet à René Ricol de déclarer avec ironie qu’il aime « travailler avec des gens qui sont plus forts que [lui] ». Pour autant, en matière d’assistance à parties, d’opinions indépendantes et de conseil stratégique lors d’opérations stratégiques de haut de bilan, c’est bien vers René Ricol en personne que se tournent les grands patrons de la place (Bolloré, Naouri, Gallois…). Comme le fera également le Président Sarkozy, lorsque frappera la crise de 2008.

Car en parallèle du développement de la société, René Ricol s’est investi dans ce qu’il appelle le « socioprofessionnel » : le travail au sein des institutions professionnelles de régulation et d’encadrement du monde de la finance, au service de l’intérêt général.

A la tête des Commissaires aux comptes

Proche de François Mayrand et Jean Sigaut (des figures du Commissariat aux comptes), il accepte de se joindre à leur liste et siège au bureau de la Compagnie nationale des commissaires aux compte (CNCC) en 1982. Dès 1985, à 34 ans, il est élu Président de la CNCC et lance une série de réformes qui touchent aux normes professionnelles et aux contrôles de qualité, l’un de ses chevaux de bataille, et que la France sera le premier pays à adopter.

Parmi ses autres réalisations, la clarification des relations entre les Commissaires aux comptes et les parquets : « nous avons mis au point ce qui a fait l’objet d’une norme professionnelle pour les CAC : le fait de révéler au parquet tout fait délibéré de la part d’une entreprise, significatif et de nature à porter préjudice aux tiers. »

Président de l’Ordre des experts-comptables

Par la suite, René Ricol prend la tête du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables (CSOEC). Entre 1994 et 1998, il lance trois chantiers : la simplification de la gouvernance, le rapprochement avec les associations comptables (oeuvrant en zone rurale), et le rôle des experts-comptables en matière juridique.

Sur ce dernier point, crucial, l’enjeu était d’obtenir le droit de représenter officiellement les clients lors des discussions avec l’administration fiscale, par exemple lors des contrôles. Une possibilité à laquelle l’Ordre des avocats était très hostile, et qui a valu à l’Ordre des experts-comptables des assignations par des dizaines de barreaux.

Au CNCC comme au CSOEC, René Ricol aime à dire qu’il « met en place les réformes préparées par [ses] prédécesseurs ». Une manière de signaler son goût du travail collaboratif. Une façon aussi de mettre en avant des compétences hors normes de « faiseur », d’homme d’action. « Je considère qu’à un moment, on arrête la réflexion, on passe à l’action. […] Les réformes que j’ai portées, ce ne sont probablement pas les meilleures réformes, mais au moins elles ont été faites. » Un talent pour la « realpolitik » qui en fera, notamment, un interlocuteur précieux pour les responsables politiques en période de gros temps.

L’IFAC et la crise financière de 2001

Or, les vents mauvais ne vont pas tarder à se lever sur la finance mondiale. En effet, René Ricol prend la tête de la présidence de l’IFAC (l’International Federation of Accountants) en 2002, alors qu’éclate la crise financière. Une crise lors de laquelle les professions comptables sont particulièrement montrées du doigt, à la suite du retentissant scandale Enron, gigantesque entreprise qui a fait faillite après avoir maquillé ses comptes pendant des années, transformant ses pertes occasionnées par la spéculation sur le marché de l’électricité, en bénéfices.

Premier français à occuper un tel poste, René Ricol se retrouve l’une des chevilles ouvrières du dispositif mondial de sortie de crise, aux côtés de Roger Ferguson vice-président de la Réserve Fédérale Américaine notamment. Enron entraine dans sa chute le cabinet Arthur Andersen, et le monde de l’audit tout entier semble mis en accusation. Pour Ricol, la crise est surtout liée au surinvestissement et au comportement des marchés. Il considère d’ailleurs que « les auditeurs ont été stigmatisés de manière injuste ». Mais peu importe, il faut rebâtir la confiance.

Il crée donc un groupe de travail réunissant les régulateurs mondiaux (Réserve fédérale, Comission Européenne, SEC,  AMF…) Toujours le collaboratif. « Nous avons décidé de passer d’une autorégulation à une ‘’shared regulation’’, partagée entre la profession et les représentants de l’intérêt général. C’était indispensable pour sortir de la crise financière. » Ajoutant : « Cette réforme a été votée en 2003, par 117 pays : une belle unanimité. »

La crise des subprimes de 2008

Ce réseau tissé parmi les décideurs et régulateurs internationaux s’avèrera précieux quelques années plus tard. En 2008, alors que la crise dite des « subprimes » est en train de sévir, le Président Sarkozy se tourne vers Ricol (« un de nos meilleurs experts » justifiera-t-il) pour monter une mission de réflexion et de formulation de propositions de mesures.

Il auditionne à tour de bras en France et à l’étranger (la liste annexée à son rapport est un véritable Bottin mondain de tous ceux qui comptent dans la finance mondiale), et multiplie les rencontres. Au cours de l’une d’entre elles, à la Maison Blanche, il est aux premières loges pour anticiper la décision que s’apprête à prendre Henry Paulson, Secrétaire du Trésor US (et accessoirement ancien patron de Goldman Sachs) de précipiter la chute de Lehman Brothers. Il anticipe ainsi la gravité de ce qui se prépare, en dépit de l’incrédulité de ceux qui croient la banque new-yorkaise « too big to fail ».

Son rapport, épuré des propositions les plus susceptibles de générer des blocages (toujours la préférence pour une réforme imparfaite que pas de réforme du tout), servira de document de travail à la présidence française du G20. « Toutes les propositions et les questions abordées par le futur G20, en 2008 et 2009, y figurent » déclare N. Sarkozy dans un entretien accordé au Monde en 2017, au cours duquel il rend hommage à ce travail.

L’homme de missions

En 2009, R. Ricol devient Médiateur du crédit, avec comme objectif d’épauler les PME françaises faisant face à des problèmes de financement. Sur les 10 000 dossiers traités entre octobre 2008 et mai 2009, 5 000 entreprises ont vu leur activité confortée, permettant à René Ricol de tirer un bilan satisfaisant : « nous avons sauvé 140 000 emplois ».

En 2010, toujours à la demande du Président Sarkozy (et refusant, comme pour les précédentes missions, toute rémunération de la part de l’Etart), Ricol est nommé Commissaire général pour l’investissement, avec pour mission de piloter les Investissements d’avenir. Examinant personnellement des centaines de dossiers de projets innovants, il ne cache pas son admiration et son enthousiasme devant la créativité des entrepreneurs français. Surtout, il se félicite de la continuité des investissements d’avenir, qui survivent à l’alternance, et approuve publiquement le choix de son successeur, Louis Gallois.

Vers de nouvelles aventures…

Ce n’est qu’en 2012 qu’il peut, à nouveau, se consacrer pleinement au cabinet Ricol et Lasteyrie. Celui-ci s’est développé au point de susciter l’intérêt du géant mondial de l’audit, EY, qui rachète la société en 2015. Ce n’est qu’après l’intégration réussie de ses anciennes équipes au sein d’EY, et fort du succès de l’opération, qu’il annonce, en juillet 2018, qu’il va quitter le groupe et créer, toujours avec Jean-Charles de Lasteyrie et Gilles de Courcel, un nouveau cabinet.

Un nouveau départ qui devrait le ramener sur ses « fondamentaux » : le conseil direct à des grands patrons dans des contextes à fort enjeu stratégique. Le nouveau cabinet devrait reprendre les activités de conseil stratégique (notamment lors des fusions-acquisitions), d’opinions indépendantes, d’assistance à parties et de compliance. Autant de domaines dans lesquels il n’a plus à faire ses preuves.

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