Où en sont les réseaux électriques intelligents en France ?
Un an après l’adoption de la loi relative à la transition énergétique, retour sur le développement des réseaux électriques intelligents en France, clé de voûte de la réforme écologique, et dans une moindre mesure industrielle, la plus importante du quinquennat de François Hollande.
La France est décidée à révolutionner sa façon de produire et consommer de l’énergie. C’est en tout cas l’ambition du gouvernement, qui mise non seulement sur l’abandon du nucléaire et le développement du renouvelable, mais aussi sur l’émergence des réseaux électriques intelligents (REI) ou « smart grids ». Capables d’intégrer de manière intelligente les actions des différents utilisateurs, consommateurs et producteurs, les REI combinent les technologies de l’énergie et du numérique afin de maintenir une fourniture d’électricité efficace, durable, économique et sécurisée.
Nouveaux usages
Selon le « Smart Grid Projects Outlook », rapport publié par le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne en 2014, « le développement des smart grids en France a permis l’émergence de 118 projets de démonstrateurs pour un investissement total de plus de 500 millions d’euros » depuis 2008. Cela fait de l’Hexagone le leader européen en la matière, devant le Royaume-Uni (497 millions d’euros) et l’Allemagne (363 millions).
En avril 2015, lors du lancement de l’appel à candidature pour le déploiement à grande échelle de REI, le gouvernement rappelait l’importance de faire évoluer nos modes de production d’électricité afin qu’ils s’adaptent à nos nouvelles habitudes et modes de consommation. Nos systèmes électriques doivent désormais être flexibles, efficaces et souples. « Intelligents », ils contribueront à maintenir l’électricité à un prix modéré en permettant aux producteurs d’électricité comme aux opérateurs de réseaux d’adapter les besoins d’investissement aux nouveaux usages.
Trois dossiers ont été retenus dans le cadre de l’appel à projets lancé en avril 2015 : Flexgrid, Smile et You & Grid, portés respectivement par les régions PACA, Bretagne-Pays-de-Loire et Nord-Pas-de-Calais (aujourd’hui fusionnée avec la Picardie au sein des Hauts-de-France). Doté d’un budget de 200 millions d’euros, Flexgrid doit étudier les thématiques liées à la gestion des données, à l’intégration des énergies renouvelables et celle des véhicules électriques, au développement du stockage et aux bâtiments intelligents. Pour sa part, le projet Smile a pour ambition de créer un grand réseau électrique intelligent pour l’ouest de la France, une région représentative de la pluralité des situations énergétiques nationales et européennes. Enfin, You & Grid vise à développer des outils de pilotage et à expérimenter de nouveaux usages sur 15 communes de la Métropole Européenne de Lille.
« Linky, colonne vertébrale des smart grids »
Ces trois dossiers lauréats, qui bénéficieront d’un soutien de 130 millions d’euros, s’inscrivent dans la stratégie de développement de la filière française des REI. Ils renforceront le dynamisme de l’association Think Smartgrids, créée dans le cadre du plan pour une Nouvelle France industrielle. Mis en place en 2013, ce dernier vise à « porter la France au premier rang de la compétition mondiale en écrivant une nouvelle page de son récit industriel ». L’association Think Smartgrids fédère plus de 100 membres, parmi lesquels de nombreux industriels prestigieux, des institutionnels, des PME, des start-up, des pôles de compétitivité et des acteurs universitaires.
Think Smartgrids accompagne les initiatives favorisant la modernisation des réseaux électriques intelligents telles que le nouveau compteur intelligent Linky, « qui pourrait devenir la colonne vertébrale des smart grids en France » selon l’association. En effet, le nouveau boitier – installé par Enedis (ex-ERDF) depuis le 1er décembre dernier – propose aux professionnels et particuliers de retrouver un relevé détaillé en temps réel de leur consommation sur une interface en ligne. Ce qui se traduira par d’importantes économies grâce à une meilleure gestion de la facturation et de la maintenance. Linky permettra également d’intégrer plus efficacement les énergies renouvelables grâce à une connaissance plus fine de l’origine des consommations. Enfin, les données qu’il permettra de récupérer pourront contribuer à la création de nouveaux services énergétiques, ce qui fera du nouveau compteur intelligent « un maillon incontournable de la maison intelligente de demain ».
Alors que les réseaux électriques intelligents joueront un rôle de premier ordre dans les années à venir, les compteurs communicants permettront de prendre en compte à la fois les services d’efficacité énergétique, l’autoproduction renouvelable, les synergies entre les réseaux d’électricité, de gaz et de chaleur, ainsi que les actions des usagers dans la gestion de leurs consommations. Ils sont en plein développement à l’échelle européenne. Et si la France peut se féliciter de ses investissements en matière de réseaux électriques intelligents, le déploiement de Linky sur le territoire national lui permettra à nouveau d’être à la hauteur des enjeux énergétiques de demain. Pour rappel, le boitier vert acidulé a vocation à équiper quelque 35 millions de foyers français d’ici 2021.
Un dessein européen
Aujourd’hui, force est pourtant de constater que l’installation du compteur n’est pas sans créer quelques polémiques – bien orientées, cependant, par des groupements de personnes ou des individualités réticents à toute forme de progrès technologique, tels les Robins des toits ou certains journalistes scientifiques autoproclamés. Afin de désamorcer les critiques liées aux ondes émises par le boitier lors de la transmission des données de consommation, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) a rendu public un rapport, le 30 mai dernier, dans lequel elle affirme que les valeurs limites de rayonnement sont respectées. « Lors des communications CPL (courant porteur en ligne – une technologie qui permet par exemple le basculement heures pleine/heures creuses, ndlr), les niveaux de champ magnétique (sont) légèrement supérieurs à ceux des anciens compteurs, (mais) comparables à d’autres équipements comme un écran plat de télévision ».
Pour Gladys Larose, chargée des relations externes du projet Linky chez Enedis, il est effectivement important « que les gens prennent la dimension de ce dont on parle : un compteur qui utilise du courant porteur en ligne (CPL) bas débit, c’est quelque chose d’insignifiant par rapport à des appareils auxquels on ne prête même plus attention dans la vie courante. » « 99,9 % du temps, le compteur Linky fonctionne comme les compteurs électriques actuels et ne communique pas » répond-t-elle également aux détracteurs du compteur qui estiment que leur vie privée est menacée. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) s’est d’ailleurs penchée très tôt sur cet aspect, « dès 2012 » d’après Joanna Masson, juriste au service des affaires économiques de la Commission. « Il faut vraiment que l’abonné accepte et fasse un acte positif [pour qu’Enedis collecte et transmette ses données]. C’est une protection forte » estime-t-elle.
La France n’est pas la seule parmi les pays européens à mettre en place de nouveaux compteurs électriques. Dernièrement, le Luxembourg a remplacé tous ses anciens boitiers par la technologie communicante, qui permettra également de rationaliser la consommation énergétique des foyers. « En renforçant la sécurité d’approvisionnement et la fiabilité des réseaux d’énergie, le compteur intelligent est la première étape en vue de la réalisation future de projets smart grids » selon le ministre luxembourgeois de l’Economie, Etienne Schneider. Projets parmi lesquels figurent « par exemple l’électromobilité et les énergies renouvelables », respectant à la lettre l’ambition de la politique énergétique de Bruxelles. Afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030, la Commission européenne s’est en effet engagée à produire 20 % de son énergie à partir de sources renouvelables avant 2020. La première étape du futur réseau européen ? L’installation de 80 % de compteurs communicants sur le territoire de l’Union européenne d’ici 2020.